Anelys Wolf – Paris 2011
Le travail pictural d’Anelys Wolf se caractérise par la représentation de scènes de la vie quotidienne. En général, elle peint à partir de photographies, référence qui se ressent par la présence de cadres dans ses peintures. Si dans ses œuvres antérieures, ses modèles furent les photographies de son environnement familial, dans la série des « Relations Secrètes » qu’elle présente aujourd’hui, les modèles sont des prises de vue issues de films d’auteurs chiliens de diverses générations – Cristián Sánchez, José Luis Torres Leiva y Elisa Eliash. Le choix de ces clichés comme point de départ de ses peintures rend évidente l’inclination d’Anelys Wolf pour la narration – sujet qui traverse toute son œuvre. L’appropriation des photogrammes par l’artiste semble révéler la nécessité qu’elle éprouve de trouver des situations qui impliquent des personnes, des histoires anonymes et insignifiantes qui partagent une certaine ambigüité ou tension et qui, en raison de l’arrêt sur image de ces scènes, facilitent leur traduction dans le langage de la peinture. D’une certaine manière, les choix qu’elle opère représentent une sorte d’intrusion et de vol de moments et situations que rend possible l’artifice du cinéma, et qu’il serait difficile de capturer dans la quotidienneté de nos vies. Cependant, l’intérêt de l’artiste ne se trouve pas dans la description minutieuse de ces scènes mais dans la volonté de transmettre une atmosphère commune à ces dernières. Il y a quelque chose de paradoxal dans les peintures d’Anelys Wolf : l’ardeur narrative révélée par ses thèmes, le choix de scènes qui présentent une action en train de se dérouler et qui, de ce fait incorporent des notions relatives à la temporalité, sont niés par le caractère figé de la peinture. C’est pour cette raison qu’en observant sa peinture figurative, la perspective du récit se brise, et la peinture se place au cœur du langage. Dès lors, l’observation semble se concentrer moins sur ce que les tableaux racontent, que sur la manière dont ils ont été réalisés.
Il est fréquent que la peinture qui représente des scènes narratives avec des figures humaines entre en conflit avec le motif ou le thème. Il est difficile de trouver un équilibre, dans une peinture qui nous montre des scènes bien reconnaissables, sans que prédomine sur la peinture ce que nous pouvons identifier précisément, et que celle-ci ne constitue dès lors qu’une illustration de la situation déterminée. Dans le cas de la série « Relations secrètes », au-delà des spéculations qu’elle suscite, ce qui prédomine c’est une atmosphère, un certain état d’âme existentiel. Les peintures fixent l’attention sur l’aspect énigmatique de ces scènes quotidiennes triviales dont l’atemporalité vient contrebalancer l’apparente familiarité. Le caractère inachevé et la qualité d’ébauche de nombre de ces peintures accentuent leur caractère expressif. Reste la sensation d’une peinture de facture rapide qui capte à traits précis l’essentiel des situations représentées ; il y a en elle une déformation des figures qui fait que le modèle apparait plus réel que ce qu’il n’est. L’essentiel dans ces œuvres, ne réside pas dans le lisible, dans la ressemblance, mais bien plutôt dans le fait qu’elles rendent visible une certaine tension et une certaine atmosphère. La simplicité des moyens, dans cette peinture, est fondamentale et manifeste la recherche d’une peinture pure, qui puise ses racines en elle-même et qui propose une subversion du modèle d’origine.
Le petit format des peintures que nous présente Anelys Wolf , son organisation en série et les titres qu’elle choisit sont des facteurs qui permettent à l’observateur de spéculer sur les connexions ou les relations – secrètes – qui les unissent. La réalisation de cette série emprunte au cinéma son principe. Cependant, il ne s’agit pas de raconter une histoire continue. Ce qui prime c’est le fragment, dans l’une ou l’autre des peintures de la série comme dans chaque scène peinte. L’histoire reste à la fois tronquée et ouverte. Le côté anecdotique de chaque scène est nié par la peinture, par le caractère inachevé, par l’utilisation du blanc comme support et comme partie intégrante de la composition, par le trait, par la platitude. En dépit de l’action que contient chaque scène peinte, ce qui prime c’est leur mutisme ; mutisme qui nous permet de nous arrêter sur les ressources de sa peinture.
En définitive, le lien secret qui unit ces peintures, c’est l’atmosphère de désolation qui les traverse.
Malena Cárdenas Ortega, Licence et Master en Arts Visuels, Université du Chili.
Traduit par Florianne Derbez
Anelys Wolf – Toulouse 2010
Relations Secrètes
Une des tâches de la critique de cinéma est de découvrir des liens entre les films, des connexions physiques et émotionnelles qui vont au-delà des apparences. Il ne s’agit pas seulement de trouver des thèmes communs parmi les œuvres d’un même cinéaste, ou des propositions formelles distinguant une génération de réalisateurs. Parfois, souvent même, ces relations sont secrètes, presque invisibles jusqu’au moment de leur énonciation où elles abandonnent leur anonymat aux yeux du monde. C’est alors, et alors seulement, que la critique de cinéma est un acte de découverte et de conquête.
Quelque chose de cette découverte-là et de cette conquête-là existe dans ces tableaux d’Anelys Wolf. Se saisissant de photogrammes de films de trois cinéastes chiliens de diférentes générations (Cristián Sánchez, José Luis Leiva et Elisa Eliash), elle en a fait une part de son œuvre. Bien sûr, du point de vue d’Anelys, il ne s’agit pas de rechercher « la grande scène », ni même de procéder à une récupération iconographique de ces films. C’est plutôt qu’il y a quelque chose qui attire intuitivement l’artiste, chez ces autres artistes, quelque chose de magnétique et de mystérieux, qui est ce qui la pousse à élaborer une autre œuvre.
Mais de quoi s’agit-il ? Que peut-il y avoir de commun entre ces trois cinéastes aux convictions si diverses dans leurs films ? Dans les films de Sánchez il y a quelque chose de très français dans la façon de représenter les luttes entre dominés et dominateurs, tout comme quelque chose de très asiatique chez Torres Leiva dans sa façon de suivre les ouvrières à la sortie de l’usine, et quelque chose de très propre au cinéma nord-américain le plus indépendant et new-yorkais dans la relation établie entre mère et fille dans Mami te amo, d’Elisa Eliash. Anelys Wolf recueille chez chacun d’entre eux des moments intimes, un peu fragiles et désolés, que vivent ces marginaux de l’émotion.
On peut faire une autre découverte dans le travail de Mademoiselle Wolf : ce sont les corps de ces personnages du cinéma auxquels elle s’intéresse ainsi qu’à leur collision avec le territoire qui les entoure. La femme qui sort d’un coffre de voiture dans El zapato chino pourrait être celle-là même qui prend une pierre dans ses mains sur la passerelle piétonnière au-dessus de l’autoroute dans Mami te amo. Une agression sexuelle dans une cuisine dans Los deseos concebidos pourrait bien être le sujet des réflexions d’une femme qui se recoiffe et se change au vestiaire d’Obreras saliendo de la fábrica. Le point de vue d’un homme en train d’épier une femme à demi nue qui boit de l’eau dans Cuídate del agua mansa est aussi omniprésent que les grilles qui enferment les femmes sur le pont de Mami te amo.
S’il est permis pousser plus loin la spéculation cinéphile, il y a quelque chose de bressonien dans ces tableaux. Il n’est pas si étrange de trouver cela, si l’on sait que Torres Leiva et Sánchez sont de fervents admirateurs du cinéaste français. Il y a de l’ascèsee, du silence et de l’achevé dans tous ces plans. Comme si chacun d’entre eux, comme le dit Raúl Ruiz, était un film à lui tout seul.
Gonzalo Maza, journalist et critique du cinema
Traduit par Odile Bouchet